La justification économique sur laquelle repose l’investissement dans les programmes d’éducation à la petite enfance provient de trois types d’analyses : des données longitudinales quantifi ant les bénéfi ces en capital humain ainsi que les coûts sanitaires et sociaux réduits pour les enfants fréquentant un établissement préscolaire; l’établissement d’un modèle économique qui prévoit les retombées liées à une meilleure productivité des mères au travail; et des études qui examinent le secteur de la petite enfance en soi et ses eff ets multiplicateurs sur l’économie.
Des études longitudinales américaines montrant que les interventions précoces auprès des enfants de milieux défavorisés entraînent des avantages durables infl uent grandement sur la validation de l’approche du capital humain. Selon ces résultats, des économistes respectés, comme James Heckman, récipiendaire d’un prix Nobel, ont conclu que les rares ressources publiques disponibles seraient plus profi tables aux communautés à risque. Les promoteurs de la santé publique ont répliqué avec des données qui démontrent que les vulnérabilités développementales ne sont pas exclusives aux enfants provenant de familles à faible revenu — les enfants avec ces vulnérabilités proviennent de tous les milieux économiques. Ils ont démontré que cibler les ressources exclurait la majorité des enfants avec ces vulnérabilités, incluant ceux de la classe moyenne et des familles bien nanties.
Récemment, les économistes se demandaient si les « rares ressources » sont même une considération. Le programme d’éducation à la petite enfance du Québec a été critiqué pour ses coûts. Toutefois, des analyses récentes démontrent que la province couvre toutes les dépenses qu’elle a engagées grâce aux recettes fiscales supplémentaires que génèrent les mères au travail, tandis que le gouvernement fédéral, qui ne contribue que peu au programme, profite d’un gain fortuit annuel de 717 millions de dollars. La recherche prouve que l’excuse du « nous n’avons tout simplement pas les moyens » pour priver les jeunes enfants de leur part équitable des ressources de la société n’est pas fondée.
Les chercheurs ont suivi trois excellentes études longitudinales américaines d’importance qui portaient sur l’impact de l’éducation préscolaire sur les enfants provenant de milieux défavorisés. La plupart des participants étaient des enfants afro-américains jugés à risque en raison du faible revenu de leur famille et de l’âge et du niveau d’éducation de la mère ainsi que de son statut de parent unique. Généralement, les familles vivaient dans des quartiers où la pauvreté et le taux de criminalité élevé sont persistants. Les enfants changeaient souvent d’école et de logement.
La Perry Preschool d’Ypsilanti, au Michigan, (fondée en 1962), l’Étude Abécédaire (Abecedarian study) de la Caroline du Nord (1972) et les centres parents-enfants de Chicago (1967) ont suivi leurs cohortes initiales pendant plus de 40 ans. Chaque étude était unique, mais elles offraient toutes un programme de groupe axé sur la participation des parents et le développement des capacités de lecture et d’écriture. Le ratio enfant-personnel était faible et les éducateurs avaient suivi une formation universitaire en éducation de la petite enfance.
Évalués au fil du temps, les groupes préscolaires ont montré un taux plus élevé d’obtention, en temps régulier, du diplôme d’études secondaires, un plus grand taux d’inscription aux études postsecondaires, des revenus plus élevés et un comportement plus prosocial une fois adultes que les groupes de comparaison. Pour les enfants nés d’une mère n’ayant jamais obtenu un diplôme d’études secondaires, le taux de diplomation au secondaire était environ 10 % plus élevé, et le taux d’abus d’alcool ou d’autres drogues et les charges criminelles étaient environ 10 % plus faibles que pour les enfants des études qui ne fréquentaient pas un établissement préscolaire. Les résultats étaient particulièrement flagrants chez les garçons.1
Aucun effet à long terme n’a été trouvé entre ces programmes et le quotient intellectuel (QI) des participants, mais l’éducation préscolaire a aidé les enfants à développer de meilleures habitudes cognitives et à améliorer le contrôle de leurs impulsions.
L’Étude Abécédaire et les centres parents-enfants de Chicago comprenaient des échantillons d’enfants inscrits à un programme préscolaire et à un programme scolaire enrichi. Les autres participants étaient inscrits uniquement à un programme préscolaire ou à un programme scolaire enrichi. Les résultats les plus stables et les plus durables concernaient la participation préscolaire. La programmation pour les enfants d’âge scolaire procurait des avantages pédagogiques et lucratifs, mais les comportements sociaux ne se démarquaient pas beaucoup de ceux des membres des groupes inscrits uniquement à un programme préscolaire.
Tableau 4.1
Tableau 4.2
Les avantages du programme préscolaire étaient quantifiés en comparant les coûts initiaux du programme par enfant à leur comportement à l’âge adulte, incluant les salaires, les impôts payés, le recours à l’aide sociale et les frais déboursés en matière de justice criminelle pour chacun. L’influence du programme préscolaire sur les coûts en matière de santé n’était pas considérée dans le pointage général, mais une étude distincte effectuée auprès des participants inscrits à la Perry Preschool à l’âge de 40 ans a donné des résultats positifs.3
Les études ont uniquement tenu compte du rendement financier pour les participants au moment où ils atteignaient l’adolescence et l’âge adulte et ont écarté les modifications au comportement parental. Par exemple, dans l’Étude Abécédaire, l’éducation préscolaire offerte pendant des journées complètes a permis aux parents de travailler et de parfaire leurs aptitudes. Les résultats n’ont pas tenu compte des avantages parentaux provenant d’un plus faible recours à l’aide sociale et d’une hausse des impôts payés, ni de la hausse des gains immédiats afférents à l’enfant, comme la moins grande nécessité de soins de santé ou d’éducation spécialisée.
Jusqu’à quel point ces études s’appliquent-elles à un contexte canadien? Ce point est en effet discutable. Le Canada n’a pas le même taux d’incarcération que les États-Unis et ne vit pas la même situation en matière de pauvreté racialisée (excluant les peuples autochtones), et il a l’avantage des soins de santé publique, ce qui joue un rôle dans l’employabilité. Bien que les conclusions de ces études soient impressionnantes, les dépenses initiales engagées seraient considérables, et l’investissement public qui nécessite une génération à se réaliser influence peu les décideurs politiques qui pensent souvent en cycles électoraux.
Tableau 4.3
Prochain: 2. Analyse des coûts-bénéfices au Canada
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