Nos parents, notre état de santé à la naissance et la façon dont nous vivons, mangeons et jouons lorsque nous sommes jeunes sont tous des éléments qui infl uent sur notre vie d’adulte. Comme l’a suggéré la première Étude sur la petite enfance, le monde extérieur a un impact considérable sur l’individu.1 Même pendant la grossesse, l’environnement du foetus, soit la nutrition, les agents polluants, les médicaments, les infections, et la santé, le bien-être et le niveau de stress de la mère ont une infl uence sur l’expression des gènes et l’architecture et la fonction de notre cerveau.
Les informations dont nous disposons proviennent des études scientifi ques au sujet des interactions entre les gènes et l’environnement chez les végétaux et les animaux. Les études animales et végétales permettent aux scientifi ques d’étudier les interactions entre les molécules, les cellules et l’ADN, révélant ainsi des processus biologiques de base et leurs applications potentielles. De telles recherches sont à l’origine des vaccins, des antibiotiques et des pilules anticonceptionnelles.2
La neuroscientifique Marla Sokolowski étudie les fondements génétiques, moléculaires, neurobiologiques et environnementaux des variations comportementales chez la mouche des fruits Drosophila melanogaster.5 Sokolowski et ses collègues ont en particulier étudié le gène responsable du butinage, lequel influence la manière dont ces insectes partent à la quête de nourriture. Tous les animaux possèdent ce gène qui influe sur le bilan énergétique, l’ingestion de nourriture, le mouvement alimentaire, la quantité de gras de l’animal, l’apprentissage et la mémoire. Dans les années 1980, Sokolowski a classé le gène selon deux variations : « nomade » (rover) et « sédentaire » (sitter). Le gène responsable du butinage produit dans le cerveau une protéine enzymatique appelée « PKG ». Les « nomades » possèdent plus de PKG dans leur système nerveux que les « sédentaires ». La quantité de PKG produite par le gène responsable du butinage dépend de l’environnement en début de vie que connaît la mouche des fruits.
« Nous étudions la portée mécaniste et évolutionnaire des gènes qui influencent le comportement larvaire en isolant, en déterminant, en clonant et en classant ces gènes et aussi en comprenant la manière dont la variation de l’expression des gènes peut agir sur la condition physique de l’organisme, explique Sokolowski. La découverte génétique portant sur la Drosophila s’est avérée utile pour comprendre le fonctionnement des gènes homologues chez les mammifères. » Les caractéristiques des gènes nomades et sédentaires décrivent comment les mouches des fruits se comportent lorsque la nourriture est abondante. Cependant, lorsque la nourriture se fait rare, les nomades deviennent des sédentaires et conservent leur énergie en bougeant moins. Ils produisent moins d’enzymes qui les incitent à butiner. L’environnement et la génétique ont interagi avec la biologie et le comportement de l’organisme.
Grâce à sa recherche sur les mouches des fruits nomades et sédentaires, Sokolowski a pu identifier le gène responsable du « butinage » chez les humains. Elle l’utilise pour trier les échantillons d’ADN des personnes souffrant de troubles alimentaires afin de déterminer comment les gènes peuvent agir sur l’ingestion de nourriture et le rendement énergétique. Son travail s’avère prometteur pour la compréhension et le traitement de l’obésité et autres troubles alimentaires.
Le débat entre l’inné et l’acquis a fait rage au cours d’une majeure partie du 20e siècle : est-ce la génétique ou l’environnement qui est responsable des différences entre les individus? Le lien qui existe entre les deux a été un incontournable dans la plupart des manuels d’introduction à la psychologie, mais les scientifiques ne comprenaient pas les mécanismes. Quelque part, les gènes et l’environnement étaient vus comme deux entités agissant plutôt indépendamment l’une de l’autre.6
La manière dont les gènes influent sur le comportement, l’apprentissage et la santé doit tenir compte de la nature des différences individuelles dans l’interaction entre les gènes et l’environnement. Aujourd’hui, les chercheurs suggèrent que divers allèles (différentes formes possibles d’un même gène) sont prédisposés à réagir d’une certaine manière dans un environnement donné.
Toutes les cellules provenant d’un oeuf fécondé comportent le même ADN. Une seule cellule, ou un seul zygote, soit le produit d’un ovule de la mère et d’un spermatozoïde du père, contient l’information génétique nécessaire pour différencier les milliards de différentes formes et fonctions qui caractérisent un être humain. Toute cette information génétique est acheminée par trois milliards de paires de nucléotides, appelées paires de bases de l’ADN.
En 1957, à la suite de la découverte de l’ADN, Conrad Waddington, biologiste et généticien développemental, a fait valoir qu’il devait exister un processus dans l’organisme qui régulerait la fonction des gènes et permettrait de produire la diversité nécessaire pour le développement. Il a conclu que des séquences spécifiques de l’ADN et des protéines régulatrices dans chaque cellule déterminaient quelles parties des gènes devaient ou ne devaient pas s’exprimer.7 Il croyait que les expériences et les facteurs environnementaux déterminent le fonctionnement de la régulation des gènes.
Pendant le premier trimestre de la grossesse, au cours duquel le tube neural se forme, les cellules migrent afin de créer les structures de base du cerveau, et les neurones se distinguent (pour la vision, le langage, etc.). Chaque cellule comporte le même ADN, mais les cellules de différentes parties du corps n’ont pas les mêmes fonctions, car l’environnement in utero « active » et « désactive » diverses parties de l’ADN.
Le milieu constitue l’une des plus puissantes stimulations dans les premières années de vie qui affecte les voies permettant aux cellules avec le même ADN de fonctionner différemment.8 Les gènes écoutent et réagissent aux environnements internes et externes du corps, et les cellules se différencient pour exercer leurs diverses fonctions.
Tout processus pouvant modifier l’expression des gènes sans changer la séquence de l’ADN constitue l’épigénétique. Plusieurs de ces changements sont temporaires, mais d’autres semblent durer.
Les vrais jumeaux (monozygotes) ont le même ADN (génotype) dans leurs cellules, mais l’expression de leurs gènes est différente (phénotype). Puisque les vrais jumeaux ont les mêmes gènes, nous pourrions nous attendre à ce qu’ils aient le même phénotype. Toutefois, étant donné que chacun des jumeaux ne vivra pas exactement les mêmes expériences au cours de ses premières années de vie, il y aura des effets différents sur l’expression des gènes. Les jumeaux non identiques (dizygotes) n’ont pas les mêmes séquences génétiques, tout comme deux personnes exposées au même environnement réagiront différemment, d’où l’interaction nommée « gène / environnement ».
Durant la grossesse et pendant la petite enfance, la constitution génétique de l’enfant est programmée de façon à s’adapter à différentes expériences. Le processus implique des changements subtils de la chimie cérébrale. Ce qui survient dans le monde du nourrisson, par exemple, une caresse affectueuse contre une voix sévère, ce qu’il mange ou la fumée provenant de la cigarette d’un parent, représente une stimulation transmise au cerveau comme un signal électrique. Les signaux produisent une cascade biochimique qui peut déclencher des changements structuraux et chimiques aux composantes de base de l’ADN. Lorsque ces signaux sont récurrents ou fréquents dans la vie quotidienne de l’enfant, la cascade chimique laisse derrière elle différents motifs d’un composé méthylé qui influe à son tour sur la manière dont les gènes s’expriment. L’ADN comporte désormais une signature personnalisée.
Tableau 2.1
Des études scientifiques portant sur des échantillons de sang et de salive provenant de cellules d’animaux et d’enfants suggèrent que les motifs de méthylation diffèrent grandement selon l’exposition à des stimuli positifs ou négatifs.9 Jusqu’à présent, les résultats indiquent que les expériences au cours des premières années de vie, particulièrement celles liées à l’environnement et à la nutrition, peuvent laisser des marques épigénétiques plus grandes que celles liées à des expériences plus tardives. Il semblerait que des changements reliés aux effets du traumatisme ou aux effets d’un environnement exceptionnel puissent être transmis d’une génération à l’autre.
Il est probablement très difficile de renverser l’expression des gènes liée à la différenciation des cellules au début de la grossesse.10 La fonction d’un gène varie selon les tissus et l’étape du développement : un gène comporte de nombreuses fonctions. Des options pharmaceutiques se profilent à l’horizon, mais la modification des voies biologiques qui contrôlent l’expression des gènes pourrait provoquer des changements involontaires dans divers tissus humains. En corrigeant les oreilles décollées, nous ne voulons pas altérer la structure du coeur.
Prochain: 2. Concevoir l’architecture du cerveau
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