Lorsque les décideurs politiques et les chercheurs discutent des avantages de l’éducation de la petite enfance, ils reviennent souvent sur le rôle manifeste qu’elle joue dans la réduction du nombre d’enfants éprouvant des problèmes de comportement, d’apprentissage ou de santé. Les enfants sans difficulté précise sont estimés comme « assez bons » et ne nécessiteraient, de ce fait, pas de soutien.14 Toutefois, les parents ne se contentent pas d’enfants « assez bons ». Ils les aiment et veulent qu’ils développent leur plein potentiel.
Allaitement et développement du cerveau en début de vie
À toutes les étapes de la vie, la nutrition a une influence sur la santé et le bien-être. Ce phénomène commence par le statut nutritionnel de la mère avant la conception et se poursuit pendant la grossesse, jusqu’à la petite enfance et au-delà. La recherche montre que les goûts et les habitudes alimentaires des enfants se mettent en place en début de vie et qu’ils peuvent favoriser l’obésité plus tard et nuire à leur rendement scolaire.15 Les macronutriments (protéines, glucides et gras) et les micronutriments (vitamines et minéraux) sont particulièrement importants avant la naissance et en début de vie alors que le cerveau et le corps sont en croissance rapide.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres organismes soulignent l’importance de l’allaitement au cours des six premiers mois de l’enfant pour assurer une bonne santé à vie.16 Une étude récente indique que l’allaitement et les performances cognitives sont étroitement liés.17 L’allaitement, pendant aussi peu que quatre semaines, entraîne des répercussions très positives sur le rendement scolaire de l’enfant.
Les enfants qui développent des liens étroits à la maison, dont les besoins physiques et émotifs sont comblés et qui sont amis avec d’autres enfants sont susceptibles d’apprendre du monde qui les entoure. Ils sont actifs et prêts à affronter de nouvelles expériences et de nouveaux défis qui leur procurent l’apprentissage dont ils auront besoin plus tard pour certaines compétences. Les éducateurs ayant reçu une formation en développement des jeunes enfants aident les parents à stimuler l’apprentissage de leurs enfants en répondant à leurs signaux et en amorçant des interactions. Cet esprit de « faisons-le ensemble » constitue la fondation de l’apprenant confiant. Même les plus jeunes enfants apprennent de ces interactions.
Les parents et leurs jeunes enfants âgés de deux à six mois se joignent à l’éducatrice Petra. Beaucoup dans le groupe ont pris part à un groupe prénatal offert par la santé publique et ont continué de se rencontrer chaque semaine. Petra accueille les nouveaux venus et les écoute parler des premiers sourires, des nuits blanches et de l’introduction des aliments solides. Petra trouve des façons de donner confiance aux parents en soulignant les signes de communication de leurs bébés. Elle fait remarquer à Christine que Mathis se dandine de plaisir et roucoule lorsqu’elle s’approche de lui et lui parle.
Les besoins physiques des enfants en matière de sécurité, de nutrition, de soins de santé et d’hygiène sont nécessaires pour assurer leur sécurité et leur survie. Des enfants en santé mangent des aliments sains, se reposent suffisamment et jouent dans des environnements sécuritaires. Les parents et les autres fournisseurs de soins passent de nombreuses heures à changer des couches, à nettoyer et à nourrir des enfants ou à les aider à manger seuls, à leur servir de la nourriture et à nettoyer derrière eux, à les aider à laver leurs mains et à essuyer leur visage et à changer leurs vêtements dans le cas de dégâts ou d’accidents. Les soins physiques sont une part essentielle du développement. Grâce à ces routines répétées de la vie quotidienne, les enfants découvrent la douceur et les adultes démontrent des aptitudes que les enfants vont éventuellement acquérir eux-mêmes.
Zehra, 18 mois, gravit les marches de la table à langer avec l’aide de Sophie, une éducatrice à la petite enfance. Sophie et Zehra chantent leur chanson spéciale pendant que Zehra monte les marches. Sophie a chanté la même chanson à Zehra chaque fois qu’elle a changé sa couche depuis sa première journée au centre. Maintenant, Zehra attrape une couche propre et commence à chanter la chanson pour aviser Sophie qu’elle veut se faire changer. Sa compétence physique et sa conscience d’elle-même sont encouragées pendant qu’elle grimpe sur la table toute seule et qu’elle s’étend, plutôt que d’être soulevée et placée en position adéquate. La chanson calme Zehra pendant la transition entre le jeu et le changement de couche. Aux fins de la routine, Zehra remet la couche à Sophie. En échange, Zehra reçoit un linge pour laver ses mains. Sophie explique chacune des étapes et Zehra est maintenant heureuse de pouvoir indiquer ce qui s’en vient à Sophie.
Dès la naissance, les enfants se servent d’abord des sons pour communiquer, puis des gestes. Le langage oral se développe afin de leur permettre de communiquer tandis qu’ils acquièrent les capacités pour faire connaître leurs besoins, pour échanger des idées, pour exprimer des sentiments et pour interagir avec les autres. La capacité de s’exprimer par le langage leur permet d’approfondir leurs aptitudes à réguler leur comportement et à bien s’entendre avec les autres. Lorsque les enfants participent activement à « faire semblant » avec leurs amis, ils déterminent des objectifs et réalisent des tâches, créent des occasions de se rappeler de l’histoire jouée et ils utilisent un langage de plus en plus complexe. Ils deviennent des conteurs qui créent de nouvelles versions de récits familiers et ils en composent de nouveaux. Il existe un lien entre la capacité des enfants d’âge préscolaire à utiliser des récits complexes et un langage oral plus développé et une meilleure compréhension et fluidité en lecture18 pendant les années du primaire où ils passent de l’apprentissage de la lecture à l’apprentissage par la lecture.
Un groupe d’enfants d’âge préscolaire observe avec beaucoup d’intérêt la construction d’un condominium à proximité. Les enfants se tiennent le long de la clôture et surveillent les allées et les venues des camions de ciment, des chargeuses frontales et des grues. Pedro, trois ans, enfourche un tricycle. Il avance et il recule en faisant des vrombissements. D’autres enfants circulent autour de lui en tricycle et en voiturette. Carla, éducatrice à la petite enfance, leur apporte de gros blocs, des tubes et quelques grosses boîtes de carton, ainsi que des casques. Les enfants commencent activement à construire un édifice qu’ils appellent « le grand condominium ». Carla décide de prolonger la période de jeu à l’extérieur. Quelques jours plus tard, le terrain comprend un emplacement de creusage dans le carré de sable, des structures composées de blocs, de tubes et de boîtes ainsi qu’un nombre de photos et de panneaux donnant des instructions aux véhicules qui prennent part à la construction et avertissant des dangers. Les enfants posent de plus en plus de questions sur les véhicules de construction et sur les outils utilisés par les ouvriers. Emily, quatre ans, veut savoir comment on va brancher l’eau et l’électricité dans l’édifice. Carla ne connaît pas la réponse à beaucoup de leurs questions et elle leur rapporte de la bibliothèque locale plusieurs livres d’images. Elle leur explique qu’elle ne connaît pas les réponses mais qu’ils peuvent les trouver ensemble dans les livres. Hassan suggère d’utiliser l’internet à la bibliothèque pour trouver plus de renseignements. Plusieurs enfants font des dessins de construction d’édifice. Ils demandent comment épeler des mots tels que « condominium » et « grue ». Carla et les enfants commencent à prendre chaque matin des photos du chantier et à noter l’avancement des travaux dans un livre qu’ils ont fabriqué eux-mêmes et intitulé « Le grand condominium ».
Tableau 3.1
Tableau 3.2
L’éducation de la petite enfance ne fait pas uniquement référence à des objectifs scolaires. Le monde d’un enfant est souvent trop grand pour qu’il puisse le contrôler. La peur et l’anxiété sont des réponses attendues et appropriées. Les enfants ont besoin que les adultes les appuient et les réconfortent pour les aider à découvrir ce qui les entoure dans un environnement sécuritaire. La recherche sur le cerveau montre que l’autorégulation émotionnelle et cognitive provient des mêmes racines neurologiques. Les contacts physiques chaleureux avec les adultes aident à établir les voies neuronales qui régissent le contrôle émotionnel chez les enfants. Lorsque les adultes sont réceptifs aux sentiments des enfants, ces derniers contrôlent mieux leur façon de penser et leur comportement au fur et à mesure qu’ils grandissent et que leur cerveau se développe.
Michaël arrive au centre avec Léa, deux ans. Alors qu’ils entrent dans la salle de jeu, Léa se tourne vers son père, s’accroche à sa jambe et commence à pleurer. Michaël la prend dans ses bras; il lui caresse le dos et lui parle doucement pour la consoler. Lorsque Léa pleure moins, Jeanette, éducatrice à la petite enfance, s’approche d’eux et s’adresse calmement à Michaël. Léa commence à s’intéresser à leur conversation tandis que Jeanette raconte à Michaël que Léa adore jouer dans la maisonnette. Lorsque Léa cesse de pleurer, Jeanette suggère que Léa montre à son père comment elle fait des biscuits à l’aide de la cuisinière en jouet. Après une courte démonstration, Léa est prête pour sa journée et embrasse Michaël avant qu’il s’en aille.
Le sentiment d’inclusion est un préalable à l’apprentissage en début de vie. Les enfants et leur famille font partie de communautés élargies : voisinage, foi, communautés ethnoculturelles ou professionnelles, école et milieu de travail. Les enfants apportent des pratiques, des valeurs, des croyances et des expériences familiales et communautaires traditionnelles aux programmes d’éducation de la petite enfance. Leur sentiment d’inclusion prend de l’ampleur dans les environnements qui leur permettent de participer activement et de promouvoir des attitudes, des croyances et des valeurs d’équité et de démocratie.19
Carlos, quatre ans, parle l’espagnol, et sa mère désire qu’il apprenne l’anglais. Il prend part à la routine quotidienne du centre et semble comprendre ce qui s’y dit, mais il parle très peu. La mère de Carlos veut rapporter des livres avec des images et du texte simple à la maison afin de les lire à Carlos. Sa propre connaissance de l’anglais est limitée, mais elle croit qu’elle devrait parler uniquement cette langue à la maison. Stéphane, l’éducateur de Carlos, lui dit : « Si je vous donne des livres d’histoires sans texte, Carlos et vous pourriez raconter l’histoire en espagnol. Nous utilisons les mêmes livres ici et nous racontons les histoires en anglais. Carlos fera des liens. Et il est en train d’apprendre : il comprend déjà beaucoup l’anglais. C’est l’anniversaire de Carlos la semaine prochaine. Pourriez-vous passer pour le fêter avec nous en matinée ou à la fin de la journée? J’aimerais que vous appreniez quelques mots en espagnol aux enfants et à moi-même. »
Plusieurs enfants doivent apprendre une langue seconde. Ils bénéficient de l’engouement que témoignent les éducateurs à la petite enfance envers les autres langues. Les enfants ont besoin d’avoir des occasions d’apprentissage dans la langue qui leur est familière pendant qu’ils apprennent une nouvelle langue. Au fur et à mesure qu’ils enrichissent leur vocabulaire et qu’ils acquièrent des aptitudes conceptuelles dans la langue qu’ils parlent à la maison, ils sont plus susceptibles de développer des habiletés dans une langue seconde.20
Les programmes d’éducation de la petite enfance côtoient d’autres institutions, incluant les médias publics et le dialogue politique. Les tensions et les incidents portant sur la race, la religion et l’ethnicité font souvent partie du contexte. Le fait de confronter les préjugés et d’agir pour éviter la discrimination et les partis pris permet aux enfants et à leur famille d’accroître leur sentiment d’appartenance.21
Les familles fréquentant le centre sont composées d’une part de couples professionnels, tous deux salariés et qui travaillent à proximité, et d’autre part de parents qui travaillent au sein de l’industrie du vêtement. Beaucoup de ces familles viennent d’arriver au Canada et leur revenu est faible. Elisa travaille avec des enfants d’âge préscolaire et elle désire mettre sur pied un environnement d’apprentissage qui respecte la diversité et l’identité. Elle prend tous les enfants et leur famille en photo afin qu’ils les affichent dans leur casier.
Les enfants ont besoin de jouer vigoureusement de manière régulière et continue. Chahuter, gravir et dévaler des collines, lancer le ballon, sauter pardessus des bâtons ou conduire un tricycle sont des jeux vigoureux. Au-delà des bienfaits évidents que l’activité physique procure à leur santé, les enfants d’âge préscolaire bénéficient d’autres avantages bien documentés, notamment l’amélioration de la coordination sensori-motrice, des aptitudes de négociation sociale et du vocabulaire, l’utilisation de phrases plus complexes et une meilleure intégration sensorielle.22 Jeunes en forme Canada recommande que les programmes d’éducation à la petite enfance offrent au moins 90 minutes de jeux actifs par jour.23
À l’extérieur, Sam et Micaela se pourchassent d’un bout à l’autre du terrain de jeu. En criant de plaisir, ils remontent une petite colline à la course et roulent jusqu’en bas, encore et encore.
Prochain: 3. Composantes de l’éducation de la petite enfance de qualité
Télécharger le Rapport
© 2025 Atkinson Foundation. Tous droits réservés. Contact