Seule une politique publique peut entraîner des changements permanents et durables pour un avenir meilleur. Une bonne politique nécessite un « espace politique », une convergence des bons dirigeants, au bon moment, à poser les bons gestes. Pour établir des politiques intelligentes, il faut pouvoir déterminer ce qui ne fonctionne pas et encourager un consensus à propos de ce qui peut fonctionner. De nombreux efforts sont alloués à la mise sur pied d’une dynamique qui transforme les observations scientifiques en actions communautaires et, ultimement, en changements de politiques. Voici deux exemples de fondations qui ont établi des partenariats avec des communautés afin de cultiver une convergence entre les parties intéressées et l’opinion publique dans le but d’appuyer de nouvelles approches en matière de prestation de services pour la petite enfance et la famille.
Avenir d’enfants est un partenariat ambitieux entre les citoyens et le gouvernement, qui guide et appuie financièrement les communautés au Québec afin de promouvoir le développement et le bien-être des enfants, dès leur conception et jusqu’à 5 ans. Les représentants de la santé publique, des programmes d’éducation de la petite enfance, des écoles, des municipalités, des organismes communautaires et des parents se rassemblent afin d’harmoniser les stratégies, les services et les mandats, d’explorer et d’expérimenter de façon intégrée le financement et les ressources humaines, et d’assurer la continuité des services pour les jeunes enfants et les familles.
Avenir d’enfants se distingue de manière singulière des autres initiatives de mobilisation des communautés. Le gouvernement du Québec a mis sur pied un fonds de dix ans pour soutenir des projets de mobilisation communautaire qui visent à créer des possibilités équitables pour les enfants. La Fondation Lucie et André Chagnon a ajouté 250 millions de dollars à l’engagement de 150 millions de dollars de la province. Avenir d’enfants gère le fonds sous la gouverne d’un conseil de 10 personnes composé d’un nombre égal d’hommes et de femmes. Les partenaires de financement nomment chacun quatre membres tandis que les deux autres membres sont déterminés d’un commun accord.
Avenir d’enfants partage la même vision que beaucoup de collaborations communautaires. L’objectif consiste à mobiliser les parties intéressées et les résidants afin de miser sur les actifs et le capital social pour la petite enfance à l’échelle locale.
Mais Avenir d’enfants opère dans un système de services bien défini :
Avenir d’enfants ne remplace pas l’infrastructure du système en place et l’investissement public. Bien que l’initiative reconnaisse qu’il existe un besoin pour un plus grand nombre de places dans les CPE ou pour d’autres programmes, elle ne finance pas de services directs. Elle a plutôt comme but de permettre aux fournisseurs de services de mieux connaître les familles de leur communauté, de savoir comment elles sont desservies et de trouver la manière dont elles pourraient être mieux desservies.
Tableau 3.5
« La première étape pour tout le monde était de regarder au-delà des limites de leurs propres rôles et responsabilités et d’observer ce qui se passait d’autre dans leurs communautés, déclare Lyse Brunet, directrice générale d’Avenir d’enfants. Nous agissons à titre de “tisseurs” de réseau afin que les personnes qui travaillent auprès des enfants, incluant les directeurs de commission scolaire, les directeurs de centres de la petite enfance, le personnel municipal et les professionnels de la santé publique, se réunissent pour mieux comprendre comment les enfants vivent. »
Avenir d’enfants ne détient pas l’autorité nécessaire pour rediriger les ressources humaines ou financières des organismes. « Ce que nous pouvons faire est d’appuyer un processus où les fournisseurs de services peuvent élaborer une stratégie. Tout le monde peut agir en marge de façon différente et déterminer quelles ressources additionnelles sont nécessaires pour collaborer à l’amélioration des résultats pour les enfants et les familles », explique Lyse Brunet.
Le défi d’Avenir d’enfants est de faciliter les solutions communautaires face aux difficultés que vivent les services et qui les empêchent d’offrir un bon départ à tous les enfants du Québec. Au cours de la première année (2010-2011), 66 communautés ont mis en place des plans d’action qui identifient et répondent à des défis en matière de service. Avenir d’enfants a documenté les actions, a identifié et produit des outils de soutien et a partagé avec les participants des pratiques parmi les plus efficaces. L’initiative encourage les meilleures pratiques locales et positionne les communautés afin qu’elles formulent des recommandations de changements de politiques au niveau provincial.
D’ici 2012, Avenir d’enfants travaillera avec 125 communautés. Inspirée par les résultats de projets locaux axés sur l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMDPE) pour informer ses plans, l’initiative Avenir d’enfants collabore avec le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour utiliser l’IMDPE dans toutes les classes de maternelle du Québec. L’IMDPE évalue la maturité scolaire des enfants fréquentant la maternelle.
Avenir d’enfants entreprend également des projets à l’échelle provinciale, dont 13 avec des institutions postsecondaires et de formation afin d’accroître les capacités de ce secteur. Par exemple, le cégep de Saint-Jérôme adapte un programme provincial pour les responsables de services de garde en milieu familial. Cette initiative peut toucher 11 000 intervenants du système de services de garde provincial, améliorant la qualité des soins en garde familiale et le développement des enfants.
L’une des questions auxquelles Avenir d’enfants espère répondre concerne la manière dont les organismes d’éducation, de santé et communautaires peuvent mieux intervenir au nom des enfants provenant de milieux défavorisés. Les communautés sont encouragées à identifier et à surmonter les obstacles qui empêchent la participation des familles, qui ont été traditionnellement mal desservies par les programmes subventionnés par l’État.
Derrière Avenir d’enfants se cachent une vision et une action communautaire de longue date. Un Québec fou de ses enfants, publié par le Groupe de travail pour les jeunes, créé par le gouvernement du Québec en 1992, a établi un consensus afin de prioriser les ressources publiques pour les enfants. Le rapport est reconnu comme ayant permis de créer l’espace politique nécessaire afin que les politiques québécoises en matière de lutte à la pauvreté et de soutien aux familles soient couronnées de succès. Sur le terrain, il a inspiré 1, 2, 3 GO!, des projets communautaires appuyés par Centraide du Grand Montréal visant à améliorer les résultats pour les enfants. En 2002, 1,2,3 GO! a élargi sa portée afin de devenir un organisme ressource et de soutien voué entièrement au travail en petite enfance au Québec.
En 2000, la Fondation Lucie et André Chagnon a été créée avec le mandat d’aborder les causes profondes de la pauvreté. Elle a appuyé le développement de Québec Enfants, un organisme ayant pour mission de promouvoir la maturité scolaire. Au début de 2009, après plusieurs mois de discussion et avec le soutien de leurs bailleurs de fonds respectifs, 1, 2, 3 GO! et Québec Enfants ont fusionné. Leurs réseaux et leur savoir-faire complémentaire constituent le fondement d’Avenir d’enfants.
La Fondation Lucie et André Chagnon considère son partenariat avec le gouvernement comme un outil servant à mettre en oeuvre des solutions identifiées par ceux qui contribuent quotidiennement à la vie des enfants. Ce partenariat encourage le gouvernement à devenir plus ouvert, en faisant la promotion de l’innovation — en permettant à de nouvelles voix d’accéder au système d’élaboration des politiques. Souvent, les personnes avec le meilleur aperçu sont les familles qui utilisent elles-mêmes les services. Les familles les moins sujettes à être questionnées, mais qui ont souvent le plus à offrir, sont celles qui ne les utilisent pas. Avenir d’enfants offre une voix à toutes.
Une autre initiative qui travaille en collaboration avec les gouvernements pour optimiser l’effet de levier est le projet Early Childhood Development du Canada atlantique. La Margaret and Wallace McCain Family Foundation (MWMFF) a conclu des ententes avec les gouvernements du Nouveau- Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du- Prince-Édouard afin de mettre sur pied des sites de démonstration qui intègrent les ressources existantes des services de garde, de la maternelle, de l’éducation pour les enfants à besoins spéciaux et des centres de soutien pour la famille, dans des centres de la petite enfance alignés avec les écoles. À Terre- Neuve-et-Labrador, la Margaret et Wallace McCain Family Foundation a établi un partenariat avec la Jimmy Pratt Foundation et la Faculté d’éducation de l’Université Memorial de Terre-Neuve afin d’appuyer la recherche et l’évaluation en petite enfance avec les gouvernements et les communautés. Ces centres de services complets ont pour but de mettre en évidence les pratiques exemplaires en matière de programmes d’éducation de la petite enfance et de déterminer les changements de politique nécessaires pour éliminer les obstacles à l’accès et à la qualité. En démontrant aux décideurs politiques et au public la valeur de l’offre de services complets, les projets peuvent aider à documenter le développement de systèmes de la petite enfance efficaces.
Chacun des 14 centres que la MWMFF appuie est unique, car chaque communauté est différente. Les familles participent activement à l’élaboration des programmes auxquels les enfants prennent part, mais, d’une région à l’autre, toutes s’entendent sur le même point : la nécessité d’avoir un lieu accessible qui offre des soins éducatifs pour leurs enfants, qui facilite leur travail et leur vie de famille et qui donne du soutien si leurs enfants ont des besoins spéciaux.
Le Groupe de recherche en santé et en éducation (GRSE) de l’Université du Nouveau-Brunswick et les chercheurs de l’Université de Moncton évaluent les expériences vécues par les enfants, les familles, le personnel, les gestionnaires de programmes et les administrateurs des services des sites du Nouveau- Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. Les conclusions documenteront les recommandations pour l’action politique.
Les différences régionales sont prises en compte dans la sélection des sites. La Boussole, centre de la petite enfance et de la famille de Richibucto inc., a ouvert ses portes dans l’école Soleil Levant à l’automne 2010. La Boussole fait partie des neuf sites de démonstration de la petite enfance du Nouveau- Brunswick. Son personnel offre des programmes aux parents et aux enfants, incluant des services de garde éducatifs à temps partiel et à temps plein, des groupes de jeu pour les parents et les enfants, des cliniques d’immunisation et des programmes de mode de vie sains intégrés aux services offerts en milieu scolaire.
La Boussole dessert les familles acadiennes et francophones du comté de Kent ainsi que les familles anglophones qui veulent que leurs enfants fréquentent une école francophone. Michèle Doiron Campbell, vice-présidente de La Boussole et mère de deux enfants d’âge préscolaire, apprécie l’identité forte à la fois linguistique et culturelle que le programme offre. « Les enfants des minorités francophones n’ont pas souvent l’occasion d’acquérir les compétences préalables à la littératie en français avant de commencer l’école. Ce centre aidera les enfants à bâtir une fondation linguistique solide pour leur apprentissage et leur développement continus. »
Dans la vallée du fleuve Saint-Jean, au Nouveau- Brunswick, la MWMFF appuie le réseau Carleton York Victoria, qui englobe des sites de démonstration dans les petites communautés rurales. Ancrées à Step Ahead à Bath, un autre site appuyé par le gouvernement, les leçons apprises sont rapidement transférées dans les nouvelles communautés. Le district scolaire, le Valley Family Resource Program et la santé publique sont des partenaires actifs.
Ces sites de démonstration sont demeurés en place malgré un changement de gouvernement au Nouveau-Brunswick. L’une des premières mesures que le nouveau gouvernement a prise a été la consolidation de tous les programmes d’éducation de la petite enfance sous un nouveau ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance. Le ministère de l’Éducation continue de s’entretenir avec tous les partenaires afin de respecter l’engagement électoral du gouvernement qui visait à trouver les meilleurs moyens de créer 10 000 nouveaux espaces pour l’apprentissage et les soins aux jeunes enfants.
« L’Initiative préscolaire d’excellence (Preschool Excellence Initiative) est axée sur la croyance que les plus jeunes habitant l’Île ont droit au meilleur départ possible et que le gouvernement a une responsabilité sociétale d’aider tous les enfants de l’Île. »35
Tableau 3.6
Smart Start, à l’Île-du-Prince-Édouard, constitue un autre projet que la MWMFF appuie, un partenariat unique entre l’Eastern School District, le Public Health Nursing, le Collège Holland, l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard et CHANCES, un organisme communautaire sans but lucratif. Le programme est offert à quatre endroits et dessert localement les enfants et les familles en proposant des services pendant des journées complètes et à l’année. Il comprend des ressources prénatales et postnatales, des conseils en nutrition, un programme de développement en début de vie pour les nourrissons et les tout-petits, de l’éducation préscolaire en milieu scolaire pour les enfants âgés de deux à quatre ans et des activités, des ressources et des informations pour les enfants et les parents.
« Cela représente une excellente occasion de modéliser les pratiques exemplaires à l’Île-du-PrinceÉdouard afin de combler les besoins des jeunes enfants et de leur famille, et cette initiative est fondée sur les recherches actuelles », déclare Ann Robertson, directrice générale du centre familial CHANCES et gestionnaire des centres Smart Start.
En septembre 2011, les sites de Smart Start se sont joints à la nouvelle Initiative préscolaire d’excellence du gouvernement de l’Île-du-PrinceÉdouard et sont devenus des centres de la petite enfance, lesquels constituent le fondement de l’initiative préscolaire du gouvernement. Ils offrent un programme d’enseignement commun, ont mandaté des comités de parents et utilisent des échelles salariales et des coûts de service communs.
La MWMFF et le gouvernement provincial travaillent avec des chercheurs du Collège Holland et de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard afin d’évaluer la première année de transition vers les centres de la petite enfance. L’évaluation établira les données de base pour la province et documentera la suite. La prochaine étape de l’évaluation étudiera l’impact de l’lnitiative préscolaire sur les enfants, les familles, les éducateurs de la petite enfance, les communautés et la province.
La MWMFF intensifie son appui pour que Smart Start rejoigne les familles qui, traditionnellement, ne fréquentent pas les services à la petite enfance. Ces expériences orienteront les futures discussions politiques.
Les évaluations de Smart Start donnent déjà des résultats positifs.36 Le site reconfirme l’importance du rôle que joue le directeur dans une installation intégrée. Cette position permet de créer une communauté professionnelle d’apprentissage composée d’enseignants, d’éducateurs à la petite enfance et de parents. Les données d’utilisation indiquent que plus de familles sont desservies comme elles le désirent grâce à une gamme de services plus diversifiés, flexibles et abordables. De plus, les parents sont plus satisfaits. Les membres du personnel sont plus réceptifs aux inquiétudes des parents, ils écoutent leurs suggestions et agissent en conséquence et font en sorte qu’ils prennent part aux programmes. Les résultats préliminaires confirment que les enfants qui participent régulièrement à Smart Start font preuve d’une plus grande maturité scolaire.
En plus du financement et des conseils offerts aux sites de démonstration pendant le démarrage et l’exploitation, la MWMFF emploie divers moyens pour appuyer l’avancement de politiques en petite enfance. Des protocoles et des accords conjoints clarifient les rôles, les responsabilités et les résultats prévus entre les gouvernements, la Fondation et les partenaires communautaires. Le personnel et l’expertise externe sont accessibles afin de documenter les politiques, les programmes et la recherche. Des offres de développement professionnel conjoint sont faites aux éducateurs et aux administrateurs des secteurs de l’éducation, de la santé et de la communauté. Le personnel de la Fondation maintient un contact régulier avec les représentants de la communauté et du gouvernement et il adopte une stratégie de communication qui combine éloges et coups de pouce afin de faire avancer le programme.
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