Charge allostatique
Bruce McEwen, au laboratoire de neuroendocrinologie de l’Université Rockfeller, utilise les termes « allostasie » et « charge allostatique » pour décrire les effets des stimuli stressants sur les voies neurobiologiques qui touchent le stress et la santé. L’allostasie est le processus physiologique par lequel les fonctions de l’organisme se modifient pour s’adapter aux demandes et aux défis rencontrés. C’est un processus régulateur dynamique qui maintient l’équilibre, ou le contrôle homéostatique, durant l’exposition aux demandes et aux changements (c.-à-d., des facteurs de stress physiques et comportementaux), lorsque la charge allostatique est modérée et de courte durée. Lorsque la charge allostatique est excessive ou prolongée, cela entraîne une détérioration des systèmes biologiques, des tissus et des organes qui se traduit par des maladies chroniques mentales et physiques de longue durée.
Source : McEwen, B.S. (2008); McEwen, B.S. et P. Gianaros (2010).
Le système sensoriel apporte aux enfants l’information nécessaire à leur développement, et le système limbique offre la motivation pour agir après la réception de l’information. Le système limbique est composé d’un ensemble complexe de structures situé au milieu du cerveau. Il comprend l’hypothalamus, l’amygdale et plusieurs parties du cerveau à proximité. L’hypothalamus est l’une des parties les plus sollicitées du cerveau et fonctionne comme un thermostat. Il s’occupe de l’homéostasie, un processus visant à ramener le corps à un point d’équilibre. L’hypothalamus régularise la faim, la soif, la réaction à la douleur, les degrés de plaisir, la satisfaction sexuelle, la colère, le comportement agressif, et plus encore. Il régularise également le fonctionnement du système nerveux autonome ou du système d’éveil et de l’axe hypothalamohypophyso- surrénalien (HHS).
Léa, deux ans, est à la bibliothèque avec son grandpère. Ils regardent un spectacle de marionnettes avec une douzaine d’enfants. Léa est fascinée par le lapin en marionnette qui vient d’entrer sur la scène et qui demande aux enfants de chanter avec lui. Léa se joint au choeur avec enthousiasme. Du côté gauche de la scène provient un bruit sourd suivi d’un monstre poilu en marionnette qui fait face au public et déclare d’une voix menaçante : « Miam, miam, j’ai faim. Quoi de mieux qu’un lapin bien tendre pour dîner? » Léa voit que le lapin est en danger et son visage passe de l’enthousiasme à la peur. Elle attrape son grand-père par la jambe et grimpe sur sa cuisse : son corps devient tendu. Le lapin se tourne vers le monstre poilu et lui dit : « Allez, viens jouer avec moi. Aujourd’hui, j’ai plusieurs amis et nous pouvons tous chanter ensemble. » Léa regarde avec hésitation au moment même où le monstre poilu en marionnette glisse sur le lapin.
Tandis que le lapin lève sa patte en guise de bienvenue, le grognement méchant du monstre poilu se transforme en bruit similaire à un ronronnement de chat. Le lapin flatte maintenant le monstre poilu. Le corps de Léa se détend et elle se tourne vers son grand-père, qui sourit. Léa retrouve le sourire, son corps se détend et elle se retourne vers la scène et chante la chanson suivante avec les autres.
Deux autres enfants du même âge que Léa réagissent différemment au spectacle de marionnettes. David attrape sa mère par la jupe dès que le lapin monte sur scène. Il regarde attentivement le spectacle, mais il ne sourit pas et il ne chante pas avec les autres. Lorsque le monstre poilu arrive sur la scène, le visage de David se défait et il se met à sangloter. Sa mère tente de le réconforter, mais il pleure de plus en plus fort. Ils quittent la bibliothèque et David donne des coups de pied dans sa poussette en route vers la maison. David continue de pleurer de manière incontrôlable jusqu’à ce qu’il s’endorme.
Jamel regarde également le spectacle de marionnettes. Il est assis sagement à côté de son frère aîné et ne chante pas avec les autres. Il délaisse les marionnettes pour regarder par la fenêtre. Il entend le bruit sourd que fait le monstre poilu et jette un coup d’oeil vers la scène, mais il ne réagit pas. Il demeure plutôt assis de manière passive jusqu’à ce que le spectacle de marionnettes soit terminé et que son frère lui dise qu’il est temps d’aller à la maison.
Trois enfants du même âge, demeurant dans le même quartier, vivant la même expérience, mais qui réagissent très différemment. Ce processus de stimulation et de récupération attire particulièrement l’attention des scientifiques et des éducateurs. Il est souvent appelé processus d’autocontrôle, ce qui est peut-être un mauvais terme, car il est facilement mal utilisé pour signifier « gestion du comportement ». David a besoin de vivre des expériences qui régularisent à la baisse son état de stimulation afin qu’il soit alerte mais calme. Jamel a besoin d’adultes stimulants qui captent son attention afin de régulariser à la hausse son état de stimulation.
La façon de nous engager dans des activités, de nous exciter ou de réagir aux nouvelles idées, aux défis, aux nouvelles occasions et aux frustrations fait partie intégrante de notre biologie. Souvent appelé « voie du stress », ce réseau neuronal complexe fonctionne entre le système limbique, les glandes surrénales, le système nerveux et le cortex préfrontal du cerveau afin de déterminer comment nous réagissons aux stimuli. Lorsque nous sommes stimulés, notre corps produit des hormones qui nous préparent à agir. Nous devons être assez stimulés pour devenir alertes et entrer en action, un état essentiel à l’apprentissage. Si nous percevons une menace, notre organisme est sollicité afin d’être plus alerte, et notre physiologie réagit — la fameuse « réaction de lutte ou de fuite » [fight or flight] présentée par Hans Seyle dans les années 1950.19 Lorsque la menace disparaît et que le défi a été relevé, si nous parvenons à revenir à un état stable, calme et alerte et la façon dont nous y arrivons dépendent de la flexibilité de notre système limbique.
Tableau 2.5
Les enfants commencent leur vie prêts à entretenir des relations qui stimulent le développement précoce du cerveau.20, 21 Un nourrisson est préparé à s’intéresser aux visages et à initier une communication non verbale avec les autres. Lorsque nous réagissons aux regards soutenus, aux sourires ou aux gazouillements d’un nourrisson, nous effectuons des échanges bidirectionnels essentiels au câblage et à la sculpture des voies limbiques. Les fournisseurs de soins primaires servent d’intermédiaires pour faire vivre au bébé des expériences qui encouragent son cerveau à devenir très sensible à la qualité de ces premières expériences. Au fil du temps, les enfants deviennent de plus en plus aptes à réguler leurs propres émotions, comportements et attentions par le biais de la maturation, de l’expérience et des relations attentives. La capacité du cerveau en ce qui a trait aux fonctions humaines de niveau supérieur, comme l’habileté à participer, à interagir avec les autres, à signaler les émotions et à utiliser des symboles pour penser, repose sur la plateforme du système limbique.
Tableau 2.6
Des études animales sur des rats ont joué un rôle important dans l’explication de la réaction des mammifères face aux stimuli environnementaux. Les bébés rats qui ne reçoivent pas de soins adéquats (un manque de léchage et toilettage) de la part de leur mère à la naissance réagissent anormalement au stress à l’âge adulte. Michael Meaney, psychobiologiste à l’Université McGill, a démontré que chez les bébés rats négligés au cours des six premiers jours de leur vie, il existait une méthylation excessive du site promoteur pour le gène récepteur des glucocorticoïdes.30 Normalement, lorsque le taux de cortisol est trop élevé, ce récepteur peut diminuer sa production. L’augmentation de la méthylation modifie l’expression du gène et le nombre de récepteurs actifs. Or, le stress produit un taux élevé de cortisol dans le sang, ce qui peut nuire au cerveau et aux autres organes du corps. Ces récepteurs aux glucocorticoïdes qui s’expriment dans l’hippocampe sont sensibles aux taux de glucocorticoïdes dans le sang. Si le récepteur dans l’hippocampe est actif, il détectera les taux de cortisol élevés dans le sang et freinera sa production. Si le récepteur ne fonctionne pas adéquatement, les niveaux de cortisol demeureront élevés.
Des taux de cortisol élevés nuisent à tous les tissus du corps et représentent un facteur de risque de maladie. La façon dont les voies de l’axe HHS et le cortex préfrontal peuvent infl uer sur les processus biologiques qui contribuent au risque de problèmes de santé mentale et physique à l’âge adulte suscite beaucoup d’intérêt. Le cortisol stimule l’amygdale, qui, à son tour, active l’hypothalamus et inhibe l’hippocampe. Les stimuli de ces voies dans le système limbique semblent nuire au développement du cerveau pendant la petite enfance et sont associés à la dépression à l’âge adulte. Ils semblent également infl uer sur les voies biologiques qui touchent les maladies artérielles (athérosclérose) et contribuent au risque de thrombose des artères coronaires, de crise cardiaque, de maladie de l’artère carotide et d’accident vasculaire cérébral. Ces voies, appelées « système limbique », interagissent avec le cortex préfrontal.31
Stress prénatal
« L’histoire de l’Homme pendant les neuf mois précédant sa naissance serait probablement beaucoup plus intéressante et comprendrait des moments beaucoup plus grands que les soixantedix années qui suivent [traduction]. » — Samuel Taylor Coleridge22
L’étude des origines foetales souligne que les neuf mois de grossesse sont une période essentielle au développement du cerveau humain et au fonctionnement des autres organes majeurs. Le foetus grandit dans un environnement grandement influencé par la qualité de l’air ambiant, les produits chimiques qu’il contient et les niveaux de bruit, de même que par la santé et la nutrition de la mère et également par les langues qu’il entend.23 Par exemple, de nombreux résultats indiquent qu’il existe des liens entre la tendance à trop manger de la mère (hyperphagie) pendant la grossesse et le diabète et les autres troubles hormonaux de son enfant.24
Au Royaume-Uni, David Barker a étudié les dossiers de santé physique des adultes et il a corrélé ces données avec les dossiers de la petite enfance.25 Ses conclusions ont révélé que l’adversité, comme la rareté de la nourriture pendant des périodes particulières du développement du foetus, est liée à une plus grande susceptibilité de souffrir d’une coronaropathie, de diabète de type 2 et d’hypertension à l’âge adulte. Dans l’une des études, Barker a montré que si le foetus ne se développe pas normalement, le risque de contracter une coronaropathie à l’âge adulte est plus grand.
Les origines foetales des maladies à l’âge adulte semblent liées à l’impact de l’environnement in utero sur le cerveau en développement, particulièrement en lien avec les premières voies du système limbique.
Les chercheurs croient désormais que le niveau de stress et le bien-être émotionnel de la mère enceinte ont une puissante influence sur la manière dont les gènes sont exprimés et sur le développement cérébral et biologique à la naissance et plus tard. Il semblerait que le cortisol relâché par la voie HHS de la mère traverse le placenta jusqu’au système sanguin du foetus. Lorsque les niveaux de cortisol sont continuellement élevés, les circuits neuronaux en développement qui composent le système limbique sont touchés.26 Le foetus réagit aux signaux qu’il reçoit et crée les nouvelles voies de son système limbique pour un environnement très stressant avec une voie HHS facilement stimulée et qui récupère lentement.27
Des études récentes suggèrent que les enfants en bas âge dont les mères étaient très stressées pendant la grossesse, et ce, particulièrement au cours du premier trimestre, montrent plus de signes d’irritabilité que les autres enfants en bas âge. Les foetus plus stressés « s’adaptent » aussi plus lentement lorsqu’ils grandissent. Ils éprouvent de la difficulté à ignorer des stimuli répétitifs, une aptitude liée aux capacités d’apprentissage.28
Une étude a indiqué qu’une grande concentration de cortisol tôt durant la période prénatale entraînait des aptitudes cognitives moins développées à l’âge de un an.29 En revanche, les enfants dont les mères affichaient un taux de cortisol plus élevé à la fin de la grossesse possédaient de plus grandes aptitudes cognitives, suggérant que le moment est important.
Prochain: 5. Voies du cortex préfrontal
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